La Savate - 1. L'évaluation : si simple et pourtant tellement compliquée !

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Grand catalogue des petites réflexions sur la pédagogie à l'université
1. L'évaluation : si simple et pourtant tellement compliquée !
par Bernard SWARTENBROEKX

Inutile de vous rappeler à la sortie des examens que ce sont justement ces derniers qui, au fil des quadrimestres et des années, rythme la vie étudiante, pour le meilleur et pour le pire. Aussi, me paraît-il fort à propos de tordre le coup à un certain nombre d'idées (à mon sens) boîteuses qui courent à propos de l'évaluation à l'université.

L'évaluation est censée déterminer si, à un moment donné, un étudiant maîtrise ou non telle ou telle matière. Simple lapalissade. En conséquence, il paraît évident de ne pas tenir compte de tout ce qui précède le moment de l'évaluation pour se centrer uniquement sur la prestation de l'étudiant. Cela veut dire que le prof doit bien sûr faire abstraction des sympathies comme des antipathies qui caractérisent éventuellement ses relations avec les étudiants. Evident ? Si ça l'était pour tout le monde, nous sortirions de cette relation profs-étudiants, trop souvent encore basée sur la peur de la vengeance à l'examen.

Mais cette indépendance de l'évaluation par rapport à toute autre considération veut dire aussi qu'on ne peut juger un étudiant sur les efforts qu'il a fournis ou encore sur le caractère plus ou moins actif de sa participation. Petit exemple de l'absurdité à laquelle peut conduire ce genre de raisonnement. Prenons un cours au hasard, à l'ILV par exemple. Mettons que la participation active y est cotée et représente un tiers de la note totale. L'argument pour justifier cette pratique consiste à dire que cela incite ainsi les étudiants à participer au cours. Or sans cette participation, la maîtrise de la matière serait impossible. Donc, cette mesure ne voudrait que le bien des étudiants. Poussons le raisonnement plus loin. En effet, si celui qui n'assiste pas au cours ou qui, plus faible, n'ouvre pas la bouche, paralysé par l'idée qu'il est évalué en permanence et que sa prestation ne sera à l'évidence pas brillante, sera forcément pénalisé. Dès lors, quand il arrivera à l'examen, il partira avec un tiers des points en moins. Il a donc toutes les chances de rater, quel que soit son niveau effectif. Et la prophétie devient autoréalisatrice : lorsqu'on n'assiste pas ou ne participe pas au cours, on ne peut réussir l'examen. Vous avez dit raisonnement biaisé ?

Mais me direz-vous, persévérant, l'effort fourni par l'étudiant qui, même faible, essaie tant bien que mal de balbutier quelques mots de flamand ou d'anglais sera pris en considération et récompensé. C'est certainement plein de bonnes intentions. Mais c'est se tromper d'objectif. En effet, on en vient alors à coter l'effort fourni et non plus la maîtrise relativement objectivable d'un niveau donné de langue. Ce n'est plus alors un cours d'anglais ou de flamand mais un cours de bonne volonté. Se posera alors le dilemme de savoir si on doit faire réussir un étudiant qui a manifesté énormément de courage et d'opiniâtreté et qui aura dès lors engrangé tous les points accordés à la participation mais qui n'aura malgré tout pas atteint le niveau exigé. Et à l'inverse, devra-t-on faire échouer et donc recommencer l'étudiant qui a atteint le niveau exigé mais par un quelconque autre moyen que la participation active en classe. Si le premier cas peut se trancher en faveur de l'étudiant, le second, parfaitement cohérent avec le système, n'en pose pas moins un sérieux problème. En tous les cas, le bon stratège qu'est tout étudiant comprendra vite qu'il a intérêt a simuler une pratique désastreuse de la langue en début d'année et de l'élever progressivement à son niveau normal. Il est sûr d'engranger tous les points liés à la participation et à l'effort.

C'est ainsi que l'on voit que coter la participation en classe et plus généralement mettre en place un système d'évaluation permanente peut conduire à l'effet inverse à celui recherché. Au lieu de faire des cours des lieux vivants d'échanges entre profs et étudiants, on encourage une attitude stratégique. En effet, le but de cet article n'est certainement pas de dire qu'il ne faut ni aller au cours, ni participer quand on y va. Au contraire. Mais je pense qu'on ne peut de manière cohérente défendre à la fois une plus grande responsabilité de l'étudiant par rapport à sa formation et à la fois une récompense permanente des « bons » et des « mauvais » comportements. Une participation plus désintéressée par rapport aux points n'en sera que plus intéressée par rapport au cours, aux questions qu'il suscite, aux pratiques qu'il appelle. Idéaliste ? Non, dans la mesure où on reconnaît la nécessité d'une évaluation. Mais celle-ci doit remplir son rôle et ne pas le dépasser. Elle a pour fonction de juger d'une prestation et non d'une personne dans sa généralité, d'évaluer l'acquisition de connaissances ou de compétences, et pas la manière dont elles ont été acquises. Sans quoi on dénature le rôle premier de l'enseignant qui est d'abord d'enseigner, c'est-à-dire de dispenser un savoir, d'accompagner l'étudiant dans sa découverte d'une matière, de susciter des questions et d'y apporter quelques propositions de réponses. Si l'on ne sépare pas le moment de la formation de celui de l'évaluation, on en arrive à confondre les rôles et de l'une et de l'autre.

A l'heure où l'évaluation continue est à la mode, il convient donc d'être particulièrement vigilant afin que les modalités de sa mise en oeuvre sépare strictement le temps de l'apprentissage où les relations entre étudiants et équipe enseignante doivent être les plus riches possibles et le temps de l'évaluation où l'on doit tendre vers l'objectivité et l'impartialité. Par ailleurs, il faudrait s'interroger sur l'impact de l'évaluation continue en elle-même sur le rythme d'acquisition, de maturation et de distanciation par rapport aux savoirs. Mais cela fera l'objet d'un autre article.