Warning: Undefined variable $request_uri_reel in /home/clients/f61b1c4abc049173e0b139414b87511f/sites/archive.agora.eu.org/savate/header.inc.php on line 46 ![]() Warning: Undefined variable $request_uri_reel in /home/clients/f61b1c4abc049173e0b139414b87511f/sites/archive.agora.eu.org/savate/header.inc.php on line 46 Article paru dans La Savate n°278, lundi 2 décembre 2002 Liberté d'accès Warning: Undefined variable $cadre_texte in /home/clients/f61b1c4abc049173e0b139414b87511f/sites/archive.agora.eu.org/savate/calcul-article.php on line 74 Warning: Undefined variable $imprimer in /home/clients/f61b1c4abc049173e0b139414b87511f/sites/archive.agora.eu.org/savate/calcul-article.php on line 85
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Le dossier sur la liberté d’accès paru dans La Savate n° 276 a suscité des réactions... Tant mieux ! Ces réactions témoignent de l’intérêt porté par les étudiants à ce débat essentiel. Je souhaiterais ici répondre à Lionel Poncelet dont l’article m’a fort intéressé.
Avant tout, j’ai été quelque peu interloqué par la virulence de ton introduction… Je cite : "Or, à lire l’article précité, les étudiants qui oseraient remettre en question [le principe de la liberté d’enseignement] ne seraient que des déviationnistes réactionnaires. Mais heureusement pour ces égarés, l’AGL, gardienne du dogme, est là pour les remettre dans le droit chemin. On croit rêver. N’est-ce pas là la marque d’un véritable totalitarisme intellectuel ?". Où donc as-tu lu ces marques de totalitarisme ? J’ai beau relire le dossier, je n’en trouve pas la trace ! Je suis le premier à froncer le sourcil devant certains communiqués à l’emporte-pièce du mouvement étudiant, mais le dossier coordonné par Gilles Verniers m’a paru briller par ses qualités argumentatives. Ce dossier est solide et ouvert aux différents points de vue : cela ne l’empêche pas de se positionner clairement.
Cette ouverture est très importante. Car en matière de liberté d’accès plus qu’ailleurs, les slogans menacent toujours d’étouffer la réflexion – et je te suis totalement lorsque tu écris que "trop de principes tuent le principe". L’idée d’un examen d’entrée à l’université (le fameux BAC) présente sans conteste l’avantage d’être stimulante et de soulever des questions sur le sens de la démocratisation de l’enseignement dans la société contemporaine. La société évolue ; et des revendications hier justes doivent peut-être se voir relayées par des revendications qui, demeurant fidèles à l’esprit de la démocratie, en renouvellent la lettre.
J’en arrive au cœur de ton objection. Tu reproches au mouvement étudiant de reporter sur l’université les inégalités de formation dans le secondaire. Au lieu de laisser s’inscrire en candi des étudiants perdus d’avance (l’expression est de moi), il serait plus humain de les réorienter tout de suite : ils épargneraient du temps et de l’argent. J’ai déjà écrit dans un autre article que cet argument, avancé également par Marcel Crochet dans son discours de rentrée 2001, me paraissait solide. Toutefois, tu ne pousses pas la réflexion jusqu’au bout.
Je te cite à nouveau : « (…) tout le monde n’a pas eu la chance de fréquenter les meilleures écoles dans l’enseignement secondaire, et donc les chances sont inégales face à une éventuelle présélection à l’entrée de l’université. Si la proposition peut paraître généreuse, c’est pourtant se tromper de problème : c’est faire payer à l’université les carences du secondaire ». Tu reconnais donc les carences du secondaire. Qu’il ne faille pas les faire peser sur l’université, je te l’accorde 1. Mais cela n’implique pas qu’il ne faille rien faire devant ce problème. Et sur ce point, ton texte reste muet.
Il faut bien comprendre ceci : la réorientation des étudiants perdus d’avance peut sembler juste, mais elle ne résoud en rien le problème des inégalités sociales. Un élève sorti d’une école défavorisée a objectivement peu de chances de réussir sa première candi : le réorienter avant l’entrée à l’université ne fait qu’entériner la reproduction sociale. Dans l’optique que tu proposes, les jeunes défavorisés sont exclus des études supérieures qui seules, pourraient les aider à grimper l’échelle sociale.
Est-ce à dire qu’il faille défendre le système actuel ? Pas forcément. J’ai déjà écrit dans un autre article que le BAC n’accentuerait pas la sélection sociale. Aujourd’hui, les étudiants défavorisés sont sélectionnés en fin de première candi ; le BAC déplacerait simplement l’échéance de la sélection … ce qui présenterait l’avantage d’épargner du temps et de l’argent à de nombreux jeunes ; mais présenterait aussi l’inconvénient de les empêcher de tenter une expérience de vie dont on ne sort jamais tout à fait perdant. En démocratie, le droit de tenter sa chance me semble essentiel.
Suis-je pour autant un « démago-utopiste » ? Je ne le pense pas. Cet enjeu me semble au contraire crucial dans une société moderne qui valorise les choix de l’individu contre les destins sociaux. A la sortie du secondaire, les jeunes sont sommés de poser un choix décisif : une formation pour la vie. Il n’existe pas actuellement de période « tampon » durant laquelle les étudiants pourraient mûrir ce choix difficile. Pas étonnant, dès lors, que nombre de jeunes butinent de faculté en faculté jusqu’à trouver ce qui leur convient. Aux jeunes qui sortent du secondaire pauvrement armés (notamment en français et en mathématiques), il faut donc donner une seconde chance. Je ne dis pas que le système actuel leur offre cette chance. Mais la solution que tu suggères pas davantage.
Ton texte souffre d’une autre faiblesse. Je relis le passage sur le secondaire : "Peut-on vraiment prétendre que le diplôme d’études secondaire est un bon indicateur de cette capacité [à entamer des études supérieures] ? Non, bien sûr (…) ! Décrocher un tel diplôme il y a quarante ans ou aujourd’hui n’a pas du tout la même signification. La massification de l’enseignement secondaire est passée par là (et c’est une bonne chose), avec comme conséquence logique que ce diplôme s’est banalisé et ne veut plus dire grand chose. Il faut donc trouver de nouveaux repères".
Il y a un siècle, le diplôme secondaire était auto-suffisant et permettait à ses détenteurs d’exercer une vaste panoplie de métiers. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : un diplôme supérieur, au moins de type court, constitue le minimum minimorum sur le marché de l’emploi. Est-ce à dire que le diplôme de rhétoricien ne veuille "plus dire grand-chose" et qu’il faille trouver de "nouveaux repères" ? Je ne vois pas pourquoi. Il existe d’excellentes écoles secondaires dont le diplôme signifie beaucoup de choses – notamment que le jeune qui en est porteur est prêt à affronter l’enseignement supérieur. Quel "nouveau repère" voudrais-tu mettre en place ? Un diplôme secondaire devrait être suffisant pour s’inscrire à l’université.
J’ai bien dit devrait. Car les écoles secondaires sont loin de fournir les mêmes compétences à leurs élèves. Un CESS (certificat d’études secondaires supérieures) délivré par une école n’aura pas forcément la même valeur qu’un CESS délivré par une autre école. Notre système éducatif est polarisé : il y a d’un côté les écoles "à problèmes" et de l’autre les écoles excellentes. Reconnaître cela, c’est reconnaître l’inégalité des rhétoriciens face à l’enseignement supérieur.
Tu le vois, je te rejoins sur de nombreux points. Mais faute d’aller jusqu’au bout, ton argumentation devient fragile. Primo, tu reconnais l’existence des inégalités sociales sans rien proposer pour les combattre. Secundo, tu passes sous silence l’énorme problème du choix de vie à la fin de la scolarité obligatoire, alors que ce problème (qui concerne tous les jeunes, défavorisés ou non) contribue probablement à expliquer le taux d’échec en candis au moins autant que le déficit de compétences. Tertio, tu décrètes que le CESS "ne veut plus dire grand-chose" parce que ce diplôme "s’est banalisé". En quoi la banalisation du diplôme entraîne-t-elle la perte de sa valeur ? Une politique éducative courageuse doit permettre à une école de masse de préserver sa qualité ; et le CESS devrait être un bon indicateur de l’aptitude à suivre un enseignement supérieur.
Devrait, encore une fois. Or, ainsi que tu le soulignes, c’est loin d’être le cas … Une solution partielle pourrait résider dans la mise en place d’une année propédeutique pour les étudiants qui ont objectivement peu de chances de réussir leur 1ere candi. Pendant cette année (idéalement gratuite), les élèves combleraient leurs lacunes et mûriraient un projet de vie. J’ai détaillé dans un autre article la façon dont j’envisage cette année propédeutique. Sans être la panacée, il pourrait s’agir d’une piste réaliste pour répondre aux défis d’une société moderne. S’il était combiné à l’année propédeutique, le BAC pourrait constituer un outil intéressant de dépistage des insuffisances ; il pourrait également inciter les jeunes et leur famille à réfléchir sérieusement sur l’avenir de l’enfant. Trop de parents, sans doute, poussent leur rejeton à l’université sans prêter l’oreille à ses envies réelles.
Beaucoup reste à dire et la discussion est naturellement loin d’être close. Provisoirement, je voudrais te remercier encore d’avoir pris la plume pour nous écrire. Il n’y a évidemment pas de complot élitiste ; les acteurs sociaux, qu’ils soient étudiants ou politiciens, cherchent à penser avec les armes de la Raison un enseignement meilleur. Dans ce débat qui nous concerne et concernera nos enfants, La Savate se fait l’écho d’une réflexion vivante, parfois contrastée – jamais dogmatique.
(1) Encore que d’autres sensibilités existent. Un éminent sociologue de l’éducation estime pour sa part que l’enseignement supérieur se doit d’accueillir sans distinction tous les jeunes qui se présentent à lui … Sans partager entièrement ce point de vue, je le trouve défendable ; et ne vois pas pourquoi il serait taxé de dogmatique ou d’irrationnel. Nous développerons cette vision de la démocratie dans de futurs articles.