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La conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) de 1999 a posé, au tournant du siècle, un constat au goût amer laissé par ces vingt dernières années de globalisation : "le vingtième siècle s'achève dans un climat de crise et l'on s'interroge de plus en plus sur la validité des orientations préconisées au cours des dix dernières années. L'ampleur de la pauvreté à la fin de ce siècle est une insulte à la dignité humaine. La prochaine génération ne mérite pas de recevoir un tel monde en héritage."
Nous savons désormais que nous vivons dans un monde déchiré, qui se dualise chaque jour davantage. Face à une telle situation, nous aurions pu utiliser des concepts tels que l'injustice, l'indignation ou encore la tristesse. Cependant, parmi l'ensemble de sentiments qu'une telle situation fait jaillir, il y en a un qui mérite une attention spéciale dans un cadre comme celui-ci, surdéterminé et saturé par "la culture du débat". C'est le sentiment de honte. Ce sentiment a ceci de particulier qu'il émane de l'intérieur de ce dont on parle, de l'ère de la globalisation déchirée. On n'y trouve pas de pureté ni de regard de surplomb. Comme l'affirmaient il y a quelques années deux philosophes aujourd'hui décédés - G. Deleuze et F. Guattari, "la honte d'être un homme, nous ne l'éprouvons pas seulement dans les situations extrêmes décrites par Primo Lévi, mais dans des conditions insignifiantes, devant la bassesse et la vulgarité d'existence qui hante les démocraties, devant la propagation de ces modes d'existence et de pensée pour-le-marché (...)".
Ce motif puissant qui ne cesse d'accompagner notre actualité globalisée nous oblige à nous interroger sur les enjeux d'un débat intitulé "quelle mondialisation ?". Il y a tout d'abord lieu de constater que la question, à force de prendre refuge dans la neutralité et de refouler tout type de prise de position, devient fade et suspecte. On aborde le sujet comme si nous avions une palette de choix devant les yeux, comme si chacun pouvait choisir son menu sans faire violence aux autres. Une telle "neutralité" nous semble aussi peu neutre et convaincante que celle qui émane de ceux qui se prétendent apolitiques. Elle évoque en tout cas des débats de salons rythmés par des tournures vernissées ; discussions convenues mettant en jeu des arguments policés et débouchant sur des diagnostiques rassurants. Ces types de débat ont une tendance frénétique à proliférer dans des institutions comme celle-ci, des lieux marqués par les signes des nantis : l'abondance et la sûreté. Or, ce n'est vraisemblablement pas ce type de questions qui sont privilégiées par les quinze millions d'argentins descendus en dessous du niveau de pauvreté en l'espace de quelques mois ou par les dizaines de millions de paysans des plantations de café et de cacao qui voient les cours des matières premières atteindre des seuils historiquement bas - cela ne fut-ce qu'en partie à cause de la politique commerciale européenne, ou encore, les ouvriers du Nord qui voient progressivement leurs bassins industriels se vider des sources de travail. Il n'y a pas ici de choix à la carte. Il s'agit plutôt de savoir comment composer et comment résister au quotidien au formatage et aux contraintes serrées des marchés et flux internationaux. Comment se débrouiller pour continuer à rendre la vie vivable.
C'est à ce type de questions que des démarches comme la vôtre, M. Yunus, contribuent sur le terrain, à coup d'expérimentations et de remise en questions. Quant à nous autres habitants de l'Union Européenne; j'ai bien peur que nous ayons tendance à nous laisser bercer par des litanies du type : "Ayez confiance, l'Europe, première puissance commerciale de la planète, veille au grain, elle travaille de manière réaliste et pragmatique à vous assurer un avenir de nanti dans cette jungle globalisé tout en ayant une attitude humaniste et une compassion médiatique envers les plus démunis de la planète. Tout compte fait, nous faisons ce que nous pouvons et surtout il y a pire ! Vous n'avez qu'à regarder de l'autre côté de l'atlantique. Nous au moins on est contre la guerre!"
Lorsque nous songeons à des chiffres bien connus comme ceux qui rendent compte de l'évolution du partage des richesses à l'échelle planétaire, notre confiance a tendance à s'évaporer. En vingt ans nous sommes passés d'un partage où le 20% des habitants plus riches de la planète détenaient 80% des ressources à un cas de figure actuel où le 20% de privilégiés monopolisent 85% des ressources. Nous savons aussi que 20% de la population mondiale est responsable de 80% des émissions de CO2 au niveau mondial. Ce type de chiffres dressent un constat accablant de l'état de notre planète globalisée. Ils permettent en tout cas d'affirmer sans complexes qu'il n'y a pas de quoi être satisfaits de nous-mêmes ou de continuer à avancer dans cette voie.
Nous savons pertinemment bien que l'institution universitaire joue un rôle important dans la production et la propagation sociale des discours acceptables et des litanies rassurantes dont nous parlions plus haut. En ce sens, puisque nous n'avons pas à être satisfaits de nous mêmes, nous rejetons, croyez nous M. Lamy, au delà des considérations strictement personnelles, l'octroi de la plus haute distinction de l'UCL à un commissaire européen en exercice et nous rejetons également la manière par laquelle ce débat a été posé. Cette position n'est en rien liée à une question de vertu ou de bonne conscience dans la mesure où nous nous savons complices de cette mondialisation déchirée. Nous sommes par ailleurs bien conscients qu'il n'y pas de retour en arrière possible ni désirable vers un monde pré-globalisé. Nous ne pensons pas que les mots et les débats soient superflus. Les mots sont des "boites à outils", et à cet égard, à défaut d'un sentiment d'auto-satisfaction, nous devrions concentrer nos efforts et nos énergies autour d'autres usages des discours et d'autres mises en scène.