Warning: Undefined variable $request_uri_reel in /home/clients/f61b1c4abc049173e0b139414b87511f/sites/archive.agora.eu.org/savate/header.inc.php on line 46 ![]() Warning: Undefined variable $request_uri_reel in /home/clients/f61b1c4abc049173e0b139414b87511f/sites/archive.agora.eu.org/savate/header.inc.php on line 46 Article paru dans La Savate n°282, lundi 17 février 2003 Doctorat honoris causa de Pascal Lamy : ne vous trompez pas de cible ! Warning: Undefined variable $cadre_texte in /home/clients/f61b1c4abc049173e0b139414b87511f/sites/archive.agora.eu.org/savate/calcul-article.php on line 74 Warning: Undefined variable $imprimer in /home/clients/f61b1c4abc049173e0b139414b87511f/sites/archive.agora.eu.org/savate/calcul-article.php on line 85
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Tout le ramdam qui a été fait autour de l'attribution du titre de docteur honoris causa au commissaire européen au commerce extérieur Pascal Lamy était-il justifié? Les critiques de l'AGL et d'Attac ont été particulièrement virulentes, nous dépeignant Lamy comme un ultra-libéral chantre des privatisations à tout craindre, éducation et santé comprises. C'est là aller un peu vite en besogne. Avant de m'en expliquer, je tiens à préciser que je n'ai pas été payé par la Commission pour écrire ceci, je ne suis pas non plus un ami personnel de Pascal Lamy et encore moins membre d'un quelconque cercle des affreux étudiants libéraux. Deuxième précision: dissocions bien l'AGCS et Lamy! C'est de l'action de ce dernier uniquement qu'il s'agira ici. On est bien d'accord pour dire que le texte de l'AGCS, indépendamment de ce qui sera effectivement libéralisé, est dangereux. En ce qui me concerne, j'étais d'ailleurs présent à la manifestation du 9 février. Troisième précision: si, à titre personnel, et sans prétention autre que celle de défendre mon opinion, je ne suis pas d'accord avec les positions de l'AGL sur le "dossier Lamy", il faut néanmoins vivement remercier cette dernière d'avoir suscité le débat, à défaut d'un dialogue préalable entre les étudiants et un rectorat que l'on dit assez autoritaire.
1. Le débat du 3 février 2002: un dialogue de sourds ?
Lors du débat organisé sur le thème "quelle mondialisation?", on a entendu peu de questions réellement pertinentes de la part des trois contradicteurs (dont il faut néanmoins saluer le courage). Personne en tout cas n'a réussi à mettre Lamy en difficulté.
- Ainsi, le représentant de l'AGL a attaqué le commissaire une énième fois sur le thème de la marchandisation de l'enseignement qu'induiraient les négociations sur l'AGCS. Pas fort convaincant dans la mesure où Lamy – qui n'est que le mandataire des 15 Etats membres – clame depuis des mois que l'Union européenne ne touchera pas à ce secteur, pas plus qu'à ceux de la santé et de l'audiovisuel. Ensuite, après avoir clamé dans les médias que l'AGL s'attaquait non pas à la personne de Lamy mais bien à sa fonction, le représentant se demande au débat dans quelle mesure on peut faire confiance à ce même Lamy. Belle contradiction. Il n'y a là qu'un procès d'intention sans grand intérêt. Quoi qu'il en soit, il ne faut pas perdre de vue que Lamy est encadré par le filet démocratique des institutions européennes. Comme tout homme politique chargé d'un mandat exécutif, il est responsable devant une assemblée parlementaire démocratiquement élue: le Parlement européen.
- L'intervention du représentant d'Attac-LLN manquait également sa cible. Certes, il est vrai que nous ne pouvons qu'éprouver un sentiment profond de honte quand on mesure combien nous, occidentaux, sommes directement à l'origine de l'état de délabrement de bon nombre de pays du sud. Néanmoins, il est un peu facile de reprocher à Lamy de ne pas en faire assez pour résorber cette dette morale, économique et sociale. Bien entendu, on n'en fera jamais assez. Mais, en attendant, il faut bien privilégier l'action à la poésie. Cela signifie s'insérer dans un système, dans une logique, qui est celle du capitalisme du marché. Ce n'est qu'en travaillant au coeur de la logique marchande que l'on peut espérer un tant soit peu pouvoir la réguler. Dès lors, il est nécessaire de se mouiller en concluant des compromis. Si rien n'est jamais parfait, cela vaut probablement toujours davantage que les lamentations désabusées. Car le compromis n'est pas la compromission. Et contrairement à ses détracteurs à la belle âme et aux mains blanches – dont le rôle de contre-pouvoir critique reste malgré tout capital –, Lamy est appelé à négocier des questions extrêmement délicates et techniques, derrière lesquelles se cachent des enjeux tant économiques que sociaux (et environnementaux) immenses. Dans un tel contexte institutionnel, pourquoi lui reprocher, pour reprendre la terminologie de Weber, de privilégier une éthique de la responsabilité à celle de la conviction, soit la voie de l'action responsable aux discours normatifs, qui seront toujours plus sublimes que n'importe quel compromis engagé.
- Quant à François Houtart, il a réaffirmé une nouvelle fois ses thèses "post-capitalistes", clamant l'insuffisance des politiques sociales s'inscrivant à l'intérieur du marché. Malgré la profonde sympathie que l'on peut éprouver pour cet ecclésiastique pour le moins engagé et original, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur le contenu à donner à ses slogans maintes fois martelés mais rarement développés. Par ailleurs, il est curieux de constater que le chanoine Houtart, comme l'AGL et Attac, parait parfois ériger Joseph Stiglitz en doctrinaire du mouvement altermondialiste. Personnellement, je n'y vois aucun mal, que du contraire. Mais il y a là une incohérence quand on connait les obédiences marxistes du chanoine rouge: Stiglitz est un néokeynésien, comme Yunus et Lamy. Le constat des multiples imperfections tout à fait majeures du marché l'amène non pas à réclamer la suppression de ce dernier mais bien son aménagement interne. Stiglitz entend défendre le modèle de l'économie sociale de marché et non je ne sais quelle organisation planifiée de l'économie.
2. Le modèle théorique de l'économie sociale de marché
Plus largement, n'est-ce pas céder à un effet de mode que de voir en Stiglitz le hérault de l'altermondialisme tout en vouant Pascal Lamy aux gémonies? En effet, tous deux, de même que Yunus, ne prétendent certes pas sortir du marché, qui est vraisemblablement le meilleur instrument de coordination des choix individuels que l'on ait trouvé jusqu'à présent. Par contre, ils croient très fermement en la nécessité de dresser des limites nettes à l'extension de la logique de la rentabilité à des champs sociaux autres que ceux des biens et des services commercialisables. Leur credo commun pourrait être: l'économie de marché, oui; la société de marché, non. En outre, l'économie de marché elle-même doit être régulée de l'intérieur pour faire place à des préférences collectives, c'est-à-dire à ces choix de société fondamentaux qui, tels que la justice sociale, ne sauraient être écartés au nom de l'efficacité économique. Et il y a même davantage. Plutôt que d'opposer les variables de la rentabilité et de l'équité l'une à l'autre et de diaboliser la première ou la seconde selon ses orientations idéologiques, il convient sans doute de les réunir dans le paradigme unique de l'économie sociale de marché. Cela signifie accepter le principe de la libre concurrence, parce que l'on n'a pas trouvé mieux pour l'instant, mais cela implique aussi de la soumettre à certaines réglementations contraignantes lorsque l'intérêt général le requiert. Selon cette orientation, l'efficience dans l'utilisation des richesses disponibles est alors maniée comme un outil au service de l'égalité. C'est du moins cette conception commune de l'organisation de la vie en société qui m'a paru être défendue conjointement par les trois titulaires du doctorat honoris causa. Ce choix de l'UCL semble donc avoir le mérite de la cohérence. Ce qui n'interdit pas le débat pour autant, évidemment.
3. Lamy, un libéral ?
Venons-en alors à Lamy. Sur le fond, quand on fait un bilan de son travail de commissaire, comment se situe-t-il par rapport au référent conceptuel qui vient d'être tracé? Pascal Lamy l'a toujours affirmé haut et fort: il est socialiste. Sans équivoque. Il est d'ailleurs amusant de savoir que Romano Prodi lui avait glissé, lors de sa nomination, avoir pris un risque en le choisissant (conjointement avec les gouvernements des Etats membres) lui, socialiste français, comme commissaire au commerce extérieur, un poste idéologiquement fort connoté. Or, aujourd'hui, Lamy est taxé de néolibéral par une bonne part de la société civile! Comme socialiste on a déjà vu plus "rouge", ricanent en effet certains. Pourtant, il n'est pas certain que son action soit moins radicale que celle des beaux parleurs révolutionnaires.
- Car, à y regarder de plus près, une bonne part du travail de Lamy s'inscrit très clairement dans la voie sociale-démocrate. Son leitmotiv est bel et bien l'intégration des problématiques économiques, sociales et environnementales. C'est pourquoi il plaide pour un renforcement des liens structurels entre l'OMC et l'OIT notamment. Quant à ses réalisations effectives, on peut pointer à son actif l'initiative "tout sauf les armes", qui témoigne d'une volonté claire d'utiliser le commerce de manière instrumentale comme moteur du développement des pays les plus pauvres, en supprimant tous les droits de douane sur les marchandises provenant de ces pays. C'est que, en bon spécialiste du commerce, Lamy a parfaitement compris que l'ouverture régulée des marchés était un excellent moyen pour participer à ce développement, à condition d'être bien utilisé. Pour lui, le commerce n'est donc qu'un instrument et pas une fin en soi. Par ailleurs, si l'initiative TSA pourrait paraitre à certains constituer le strict minimum, compte tenu de notre responsabilité à l'égard de ces pays pauvres, il faut pourtant savoir qu'elle a été âprement discutée au sein du Conseil des ministres. En l'espèce, le commissaire au commerce était donc plus progressiste que certains Etats membres.
- Une seconde action importante à mentionner se situe dans le domaine des médicaments. Les règles sur les brevets interdisaient aux pays les plus pauvres de produire des médicaments génériques à bas prix. Sous la pression d'ONG comme Médecins sans frontières dénonçant (avec raison évidemment) ce véritable crime contre la santé publique, la Commission, puis le Conseil ont clairement pris position dans ce dossier, en vue de mettre en place un système dérogeant aux droits sur la propriété intellectuelle permettant d'autoriser la vente de certains médicaments à des prix équivalents à leurs coûts de production. Malheureusement, quand il a fallu passer à l'acte au sein de l'OMC, un Etat sur les 144 membres que compte l'organisation s'est opposé au consensus qui avait été élaboré. Sans surprise il s'agissait de nos amis les américains... Quoi qu'il en soit, que peut-on reprocher à Lamy dans ce dossier? N'était-ce pas franchement taper à côté de la plaque que de l'avoir traité de meurtrier lors de la remise de son doctorat honoris causa dans l'aula magna (des militants d'Act-up ont scandé: "sida, 10 000 morts par jour, Lamy court toujours"). C'est carrément grotesque. Par ailleurs, Lamy a annoncé chercher à trouver une autre voie pour résoudre le problème des médicaments, en passant par l'OMS.
On reproche également à Lamy d'être dur à la table des négociations avec les pays du sud. C'est apparemment parfaitement vrai, mais il faut voir en quel sens il l'est. Il s'est montré intraitable lors du lancement du cycle de Doha.... mais non pas pour demander une énième diminution des barrières tarifaires au commerce international mais bien pour réclamer que les problèmes environnementaux et sociaux soient abordés conjointement avec la libéralisation économique (on en revient toujours au triptique du développement durable). Son idée n'est pas de faire du protectionnisme en réclamant des pays du sud de respecter des normes de droit de la sécurité sociale, de protection des travailleurs, de l'environnement, de la santé publique, etc. qu'ils n'ont de toute façon pas. Mais bien - c'est cela son idée à la fois simple et enthousiasmante - de conditionner l'octroi d'une ouverture plus grande des marchés européens aux produits du sud à des progrès en matière sociale et environnementale. Il contourne ainsi parfaitement le piège du protectionnisme dévastateur pour le sud. Peu importe le niveau d'où partent les pays pauvres: tant qu'ils font des efforts pour améliorer la protection des travailleurs, etc., l'Union européenne se déclarerait prête à abaisser son tarif douanier commun. Pour obtenir une avancée pareille, même si c'est contre le gré des pays du sud, n'y a-t-il pas quelque raison de se montrer tout à fait intraitable?
Pour le reste, Lamy a sans doute dû participer, il est vrai, à des négociations au sein de l'OMC ayant abouti à des résultats critiquables. Mais, une fois encore, c'est se méprendre que de le lui reprocher. Car Lamy n'est jamais que mandaté pour défendre la position définie préalablement par les 15 Etats membres de l'Union européenne entre eux. C'est donc sur ces derniers qu'il faut faire pression si l'on veut les voir adopter comme modèle de société le développement durable, ou si l'on veut qu'ils réduisent le mandat du commissaire au commerce. D'autre part, si Lamy est amené à discuter régulièrement avec de grands industriels, cela ne signifie pas qu'il n'est que l'exécutant de leurs souhaits. Il est normal que la Commission, et plus précisément son commissaire au commerce, prenne connaissance (et rien de plus) des desiderata du patronat européen, comme elle écoute les critiques émises à l'égard de la construction européenne par la société civile. Si les choses étaient sans doute différentes dans le passé, il n'y a plus de raison aujourd'hui d'hurler à la compromission quand un commissaire au commerce se rend aux réunions du Transatlantic business dialogue. En outre, même si l'argument est dangereux, il ne faut pas perdre de vue le truisme suivant: pas de redistribution équitable sans croissance économique préalable.
Conclusion
Reprenons la question: Lamy méritait-il autant de chahut? Est-il ce partisan du capitalisme sauvage à la botte des grandes entreprises transnationales européennes et américaines, négociant seul et sans avoir à rendre de compte à personne, as du double langage qui plus est? C'est véritablement manipuler l'opinion publique que de l'affirmer. La vision de la globalisation asservie que défend Lamy est décidément extrêmement claire et tranchée. Si, comme il le dit lui-même à la fin de son ouvrage (L'Europe en première ligne), la gauche a réussi à transformer la face de nos Etats-nations occidentaux au cours du 20ème siècle, il faut qu'elle reprenne son combat pour l'égalité au niveau mondial. Construire un monde solidaire, c'est définitivement le défi majeur qu'aura à assumer notre siècle naissant. Si l'on veut le relever, nous avons à nous engager dans un combat frontal gauche/droite (n'en déplaise aux partisans petit-bourgeois du centrisme mou). De ce point de vue, Pascal Lamy a déjà choisi son camp depuis bien longtemps. Que l'on m'explique où est le double langage hypocrite dans ces assertions...
Elle ne doit pas être aisée la tâche d'un homme politique taxé de néolibéral par certains mouvements sociaux et de socialiste dogmatique par le congrès américain. Pour en revenir à l'effet de mode et à l'éthique de la responsabilité, on peut aussi noter que tandis que Stiglitz a démissionné de son poste à la Banque mondiale (on ne saurait le lui reprocher évidemment), Lamy reste en place à la Commission pour tenter autant que possible de jouer un rôle progressiste au coeur même du capitalisme mondialisé. Plutôt que de lui envoyer à la tête des noms d'oiseaux, n'est-il pas fondamentalement justifié de soutenir pareil homme politique? Car, enfin, il ne faudrait pas se tromper de cible! Les mouvements de gauche doivent s'unir autant que possible pour défendre le développement durable comme modèle de société, aux niveaux locaux, régionaux, nationaux, européen et mondial. Dès lors, il serait profondément stupide, et même ridicule, de voir en un homme du sérail, Pascal Lamy, un adversaire. Ce dernier est au contraire un allié de premier choix, à la fois intellectuel et homme politique visionnaire.
La gestion de l'économie n'est pas de gauche ou de droite, elle est bonne ou mauvaise. Par contre, la question de la finalité du développement économique, elle, est bien de gauche ou de droite. Je crois que Lamy l'a bien compris. Sachons faire de même.