Le Numerus Clausus n'a pas encore fini de faire couler l'encre de La Savate. Une polémique s'est en effet engagée entre différents acteurs sur les résultats d'une étude sur le Numerus Clausus et son adéquation avec les besoins futurs de médecins. Nous faisons le point de la situation.
Saga Numerus Clausus, dernier épisode. Le nouveau rapport de la "Commission fédérale de Planification" vient de sortir.. Le rôle de cette commission est d'évaluer annuellement les besoins en médecins et de permettre ainsi de fixer le niveau des quotas de jeunes diplômés admis à entrer dans la profession. Et le hiatus provient du fait que le dernier rapport estime, chiffres et études prospectives à l'appui, que le nombre nécessaire de médecins dans les différentes disciplines médicales est bien supérieur au nombre de médecins qui seront autorisés à sortir des facultés de médecine dans les prochaines années. Les quotas ont en effet déjà été arrêtés pour les années à venir jusqu'en 2008 et ils sont bien inférieurs aux besoins. Ce qui fait dire aujourd'hui à la Fédération des Etudiant(e)s Francophones que "le Numerus Clausus, prétendu remède efficace dans la lutte contre la pléthore de médecin, se confond avec l'organisation de la pénurie".. En effet, en Communauté française, le Numerus Clausus limitera en 2004 à 280 le nombre de médecins diplômés alors que le nombre de médecins nécessaires s'élève à 347. En 2005, 260 diplômés pour 353 nécessaires ; en 2006, 240 diplômés pour 371 nécessaires ; en 2007, 280 diplômés pour 395 nécessaires ; en 2008, 280 diplômés pour 417 nécessaires. Sachant que la formation de généralistes dure au minimum sept ans et que la pénurie en médecins sera de 543 unités en 2008, celle-ci semble d'ores et déjà inéluctable.
Comment expliquer une telle différence entre les prévisions d'antan et les chiffres d'aujourd'hui. La commission a effectué une analyse plus fine comme s'évertuait à le demander la Ministre Dupuis qui réagit en ces termes : "Je suis évidemment ravie de constater que la Commission de Planification médicale a approché la profession médicale de façon précise, comme je l'ai demandé depuis un an, en tenant compte de la féminisation, du fait que les gens travaillent moins longtemps qu'avant. On travaille mois âgé aussi. Enfin, bref. Et donc, pour stabiliser la force de travail, on décide finalement qu'il faut plus de médecins que ce que l'on avait prévu." Et elle poursuit en affirmant que : "Les quotas arrêtés viennent d'être dynamités par l'étude" et dans la foulée elle se demande "si le numerus clausus se justifie encore". La ministre compte d'ailleurs bien interpeller sa collègue fédérale de la Santé publique Magda Alvoet à ce sujet.
L'avis de Jean-Paul Dercq, président de la sus-dite commission, ne va pas entièrement dans le même sens. "Personne, à aucun moment, n'a remis en question les quotas. Et tout le monde a pris cette étude comme étant un instrument pour permettre d'affiner au niveau des Communautés les choix dans les différentes disciplines." En gros, il s'agirait dans cette perspective de protéger le renouvellement de praticiens dans certaines spécialités particulièrement menacées par la pénurie sans pour autant toucher au principe même du Numerus Clausus. Quant on parlait de gestion de la pénurie...
Quant aux syndicats, ils restent farouchement opposés à la suppression du Numerus Clausus.. Jacques de Toeuf, président de l'ABSyM : "C'est une gigantesque erreur politique de la part de Madame Dupuis. Parce que faisant cela et voulant soutenir la production excessive de médecins en Communauté française, elle ouvre à nouveau tout grand le débat sur la défédéralisation du financement des soins de santé. Et cela ferait une catastrophe pour les Francophones." Cet argument provient du fait que les chiffre de l'étude sont calculés pour assurer le maintien de la force actuelle de travail. Or celle-ci est légèrement supérieure en Communauté française qu'en Flandre. L'objectif non avoué du syndicat des médecins semble donc de réduire le nombre de médecins par rapport à aujourd'hui et en conséquence de diminuer les prestations de santé. Cela n'aurait sinon aucun sens d'invoquer les équilibres financiers et communautaires de l'INAMI. Alors que les besoins de soins sont appelées à augmenter dans les années à venir avec le vieillissement de la population, il s'agirait de réduire le nombre de professionnels capables de les assurer. Et de faire peser uniquement sur les jeunes ces mesures de restrictions bureaucratiques en protégeant les intérêts corporatistes de leurs aînés. Sans compter l'effet désastreux pour la qualité à long terme des soins de santé de briser tant de vocations et d'imposer un climat de concurrence malsaine dès les premières années d'études renforçant ainsi une vision productiviste d'une profession médicale pourtant profondément sociale.
En fait, c'est le principe même du Numerus Clausus, contingentant le droit d'accéder aux études à l'évaluation actuelle des besoins solvables de la société future qui est inacceptable pour le mouvement étudiant. Quand on entend le président de l'ABSyM déclarer qu'"il faudra peut-être revoir le système en 2015 mais que, d'ici là, supprimer le Numerus Clausus ne servirait à rien, ni à personne.." on se demande où est passé le bon sens. En effet, on peut émettre de très sérieux doutes sur la pertinence de planifications à long terme alors qu'en l'espace d'à peine quelques années, on voit que les prévisions divergent de manière importante. Puisque la Commission de planification a exploré l'avenir des 28 prochaines années, reportons-nous en 1973, soit il y a 28 ans... Dans le domaine vétérinaire, qui aurait imaginé l'impact de l'ESB et sa transmission possible à l'espèce humaine ? Qui aurait imaginé l'ampleur de l'épizootie de fièvre aphteuse ? Dans le domaine médical, qui aurait imaginé l'ampleur de l'essor de l'échographie (utilisée depuis 1970) ? Qui aurait imaginé l'émergence du SIDA ? Qui aurait imaginé que les diplômés des promotions pléthoriques du début des années '70 allaient imposer un "Numerus Clausus" pour se mettre à l'abri de la concurrence de leurs cadets ?