Si, en passant sur l'agora, malgré la course de la rentrée, tu prends la peine de lever le nez, tu verras que le cinéma studio a perdu des couleurs : contre les vitres du premier étage, plus aucune de ces figures figées sur papier glacé qui les peuplait jusqu'il y a peu ne s'affiche. Et tu apprendras bientôt que ce mauvais présage pour la survie du studio ne se démentira pas. La trêve estivale lui a été fatale. Si les exploitants du cinéma se sont battus quelques temps pour survivre, il aura fallu moins d'un an à l'UGC pour mettre à terre, par knock-out, son concurrent nain.
L'UGC quant à lui a l'air de se porter plutôt bien : malgré une faible fréquentation des salles, les tarifs ont été augmentés cet été - la place étudiante franchit la barre des 5 EUR - et ses enseignes lumineuses dominent toujours le lac et la grand-place avec la même arrogance, laquelle inspirera peut-être à quelques guindailleurs nostalgiques l'idée d'une action "intifada" un de ces quatre matins. Les articles du département "food and beverage" continuent à y coûter quatre fois plus cher que n'importe où ailleurs. Et le moins qu'on puisse dire de la programmation est qu'elle n'est pas d'une richesse ou d'une diversité à faire blêmir d'envie les quelques cinéphiles les plus pointus qui peuplent le Brabant wallon.
Que faut-il en penser de cette évolution ? Certes, le studio n'était pas irréprochable et il serait facile de l'idéaliser après coup : la programmation n'a jamais été très audacieuse avant l'arrivée de la concurrence, la vétusté des lieux sautait aux yeux et nos pauvres genoux souffraient parfois après une séance. Mais la disparition d'un lieu de culture n'est jamais une bonne nouvelle et le studio était peut-être un peu plus qu'un vieux cinoche pouilleux. Si vous allez discuter avec les plus anciens des habitants, ils vous diront peut-être que la fermeture du studio est une des dernières convulsion de l'agonie de "Louvain-la-Neuve les pieds dans la boue", de cette émulsion enthousiasmante qui avait accompagné la naissance et le développement de la nouvelle ville qu'est Louvain-la-Neuve, à l'image de la sneak preview que nous serons nombreux à regretter.
Généralisons. On dira que Louvain-la-Neuve a terminé sa crise d'adolescence, qu'elle est maintenant en train de devenir le centre, commercial, culturel et intellectuel du Brabant wallon, que le marché de l'immobilier se porte bien. Mais est-ce bien cela que nous voulons ? Car cette flaque et ce monceau de béton, il faut les habiter. Même si la plupart d'entre nous ne sont ici que de passage, ce débat-là, on n'est fera pas l'économie, sous peine de faire définitivement de notre ville ce ghetto social aseptisé qu'elle a parfois tendance à être : où sont les réalités urbaines, le quart-monde, l'immigration, le chômage, dans LLN ? Une bête cité-dortoir bruxello-périphérique, juste un peu plus smart que les autres - " on va avoir le musée Tintin, quand même " - où on ira voir le dernier film de propagande militariste américaine en s'empifrant de pop-corns à 10 EUR le bac.
Et pour revenir à nos moutons, disons - gentiment - que plus que jamais il faut soutenir les initiatives associatives : festivalciné-nomade, les ciné-fac - qui ont déjà, me semble-t-il, été bien moins nombreux cette année que les précédentes - et autres,... Pour que Louvain-la-Neuve garde un petit quelque chose d'un esprit qui a pu un jour, dans la tête de quelques rêveurs, la caractériser,...