Ce mercredi 6 novembre a eu lieu, dans le cadre du Congrès Etudiant, le module consacré à l’échec en candis. Voici un aperçu de ce qui s’y est dit…
Deux grands sujets ont été jetés sur la table : le rôle des candidatures et l’opportunité d’un éventuel brevet d’aptitude communautaire (BAC).
L’un des intervenants n’a pas tardé à remarquer qu’il fallait distinguer le taux d’échec observé (celui mesuré statistiquement) du taux d’échec réel. Le taux d’échec réel serait celui des étudiants raisonnablement impliqués dans leurs études ; ceux qui ont bossé et qui malgré tout ont échoué. C’est à cette catégorie d’étudiants que s’adressent les monitorats et autres techniques de remédiation.
Le taux d’échec observé intègre en outre les étudiants qui s’inscrivent à l’université sans trop savoir pourquoi ; ceux qui n’assistent à aucun cours et font une cote de présence à chaque examen. Il est évident que toutes les ressources de la pédagogie sont impuissantes face à cette catégorie, dont on peut faire l’hypothèse qu’elle est tout sauf marginale.
La question surgit dès lors de savoir pourquoi des étudiants s’inscrivent à l’université sans avoir l’intention de poursuivre réellement des études. On a avancé l’idée que les candidatures assument le rôle de période d’interrogation sur soi et de choix de vie, rôle que le service militaire assumait autrefois. A la sortie du secondaire, de nombreux étudiants n’ont pas d’idée précise de ce qu’ils souhaitent faire ; et il est plus gratifiant de s’inscrire à l’université que de s’inscrire illico à l’ORBEM. Cela permet au moins de gagner du temps.
C’est donc la question de l’orientation qui revient sur la table – mais également la question d’une période tampon entre la fin de la scolarité obligatoire et le choix hautement personnel que représente un choix de formation pour la vie. Certes, le secondaire n’a pas pour rôle d’orienter les élèves vers une filière ou l’autre. Au contraire, la scolarité obligatoire doit fournir une base commune la plus large possible à la jeunesse. A la sortie du secondaire, les jeunes sont pourtant sommés de faire un choix – et un choix décisif, qui les engage durablement : une formation pour le futur. Il n’existe pas actuellement de période durant laquelle on pourrait faire le point sur ses acquis, sa motivation, ses envies.
Le problème est d’autant plus aigu que nous vivons dans une société multiple, fragmentée ; les destins sont (quoi qu’on en dise) moins figés que par le passé. Les identités sont plus floues, plus difficiles à cerner : l’origine sociale détermine moins que par le passé le profil identitaire. En outre, les formations possibles se sont diversifiées : depuis l’enseignement artistique jusqu’aux études de gestion qui se déclinent en versions universitaire ou non universitaire, pas évident de choisir. Enfin, les avenirs possibles sont moins lisibles : comment savoir où mènera telle ou telle formation ? Le monde est incertain ; le marché de l’emploi aussi. Tout cela complexifie les choix de vie.
Cette relative obscurité au seuil de l’âge adulte pourrait contribuer à expliquer le taux d’échec observé. Nombre de jeunes s’engagent dans une filière sans trop savoir si cela leur plaira ou non, en attendant … quoi, au juste ? Peut-être d’y voir plus clair. Peut-être que le temps passe. On s’en doute, le BAC ne constitue pas une solution à ce problème.
Toutefois, il paraît excessif de redouter un accroissement des inégalités sociales suite à l’instauration d’un éventuel BAC. Paniquer à l’idée de l’élitisme que favori-serait le BAC reviendrait en effet à ne pas voir la sélection qui se déroule déjà sous nos yeux. Actuellement, ce sont les candidatures qui jouent le rôle de barrière sociale … BAC ou pas BAC, les étudiants se font arrêter en fin de première candi. Le BAC révélerait sans doute ce qui existe déjà ; il déplacerait l’échéance mais n’augmenterait pas les inégalités.
La fonction de barrière sociale qu’assument aujourd’hui les candidatures, les partisans du BAC voudraient la reléguer en amont de l’enseignement supérieur. Que d’argent perdu, argumente Marcel Crochet, que de frustrations générées par tant d’échecs prévisibles !... Pourquoi entrer à l’université lorsqu’on a objectivement fort peu de chances d’y réussir – par exemple en raison d’une maîtrise imparfaite du français (pour ne citer qu’un obstacle fréquent qui se dresse souvent devant les étudiants en candidatures) ?
L'argument est solide. Le BAC n’augmenterait pas la sélection sociale ; il ne lui apporterait aucune solution non plus. Simplement, il éviterait aux familles les plus défavorisées de perdre du temps, de l’argent et de l’espoir dans une entreprise vaine. Cynique service, à vrai dire... Mais il n’est pas moins cynique, au fond, de défendre à corps et à cris le système actuel.
Tout le monde sait très bien qu'il existe déjà aujourd'hui des écoles qui préparent mieux que d’autres à l'enseignement supérieur. La crainte de voir se développer des "boîtes à BAC" et des "boîtes à pas BAC" est donc sans objet : cette dichotomie existe déjà. Le BAC aurait peut-être le mérite de fonder de façon plus ou moins objective des inégalités de fait qui pour l'instant relèvent du seul mécanisme, pervers lui aussi, de la réputation.
Il s'agit d’être bien clair : le BAC ne constitue pas une solution aux inégalités de notre système d’enseignement. En revanche, une idée est revenue sur la table à l'occasion du débat sur le BAC : il s’agit de l’année propédeutique. Cette idée revient souvent dans les réflexions sur l'articulation secondaire/supérieur ; on ne peut lui dénier quelque pertinence en dépit des difficultés concrètes qu'elle suscite.
L'objectif d’une telle année propédeutique serait de fournir aux élèves les compétences transversales nécessaires pour affronter l’enseignement supérieur : maîtrise de la langue française (rédaction, argumentation, etc.) ; outils mathématiques de base ; notions de néerlandais et d’anglais... Tout ce que l’enseignement supérieur considère comme acquis, mais que le secondaire n’a pas toujours permis d’acquérir.
Le rythme d’apprentissage resterait proche du rythme secondaire ; il ne s’agirait pas de "larguer" les élèves par une formation hyper-accélérée mais au contraire de leur donner le temps de combler certaines lacunes et de mûrir un projet d’avenir. A cette fin, des conseillers en orientation accompagneraient les élèves et des séances d’information sur les différentes filières seraient données par des professionnels. Idéalement, cette année propédeutique devrait être gratuite ou presque. Il y a fort à parier que le coût d’une telle année serait partiellement compensé par les réussites supplémentaires qu’elle favoriserait ; de même pour l’allongement des études : cette année supplémentaire serait compensée, pour certains élèves au moins, par la réussite d’une candi qu’ils auraient échouée sinon.
La difficulté à poser des choix de vie clairs, l’errance d’une faculté à l’autre, sont probablement symptomatiques de la modernité : placer l’individu au centre de la vie sociale, c’est l’exposer au gouffre de l’incertitude. Car les parcours ne sont plus tracés d’avance. Pourtant, plus que jamais, nous sommes responsables de nos erreurs.
Mais alors, la liberté d’accès ne peut plus se contenter d’être formelle. Une société vraiment libre doit accorder à ses citoyens le droit à l’erreur, le droit aux expériences et aux tâtonnements. C’est un droit de se tromper, de recommencer, d’avoir accès à une seconde chance ; et pour cela il faut du temps. L’année propédeutique a ceci de commun avec le crédit temps que dans chaque cas il s’agit de donner une chance aux gens. Il faut penser le problème de l’échec dans le même cadre que le lifelong learning : les enjeux se ressemblent.
Si le BAC est une prophétie sur le destin des individus, il faut le combattre de toutes nos forces ; s’il s’agit d’un outil intégré dans une politique éducative conçue pour aider les jeunes à assumer leur liberté – alors pourquoi pas ?