Cela fait plusieurs mois, plusieurs années même, qu’une refonte totale du paysage de l’enseignement supérieur européen est en route. Cette transformation radicale, connue sous l’appellation de "processus de Bologne", du nom d’une des déclarations qui a enclenché le phénomène. Celui-ci, dont les premières conséquences se sont déjà fait sentir sur le terrain (pensez aux ECTS,…), se mettra en place de façon généralisée à l’UCL à la rentrée académique de septembre 2004. Nous avons déjà fait largement écho au sujet dans les précédents numéros de la Savate, mais le dossier évolue rapidement. Le conseil académique du moins de janvier a en effet déterminé les grandes lignes des réformes à venir dans leur application au sein de l’université. En voici les points les plus importants.
En septembre 2004, les étudiants ne rentrerons plus en première candidature, mais entameront un "baccalauréat" de trois ans qui leur donnera accès, dans la plupart des filières, à une "maîtrise" en deux ans. Ce changement nécessitera que l’on prenne le temps de se pencher, assez rapidement, sur plusieurs questions aujourd’hui sans réponse. Car l’engrenage est lancé et, même si de lourdes incertitudes pèsent encore sur le dossier, rien ne semble désormais pouvoir l’arrêter.
Le passage du premier cycle à une formule réalisable en trois ans pose tout d’abord la question du financement de l’année supplémentaire. Où va-t-on trouver de quoi la subventionner ? La Communauté française, dans la situation actuelle, est incapable de dégager les fonds nécessaires. Le budget de l’université est en déficit, et ce pour encore au moins 3 ou 4 ans malgré les mesures draconiennes de restriction imposées aux facultés. On ne voit pas où il sera possible de dégager les sommes – conséquentes – nécessaires.
Et pourtant, les recteurs des universités francophones ont présenté à la Ministre de l’enseignement supérieur, Françoise DUPUIS, une "proposition relative au mode de financement des futurs programmes d’études qui n’accroît pas l’enveloppe réservée aux universités". A quel prix ? Lorsqu’on sait qu’une des hypothèses de redressement financier de l’UCL se base sur une augmentation de 30% du prix du minerval d’ici à 2008 (voir par ailleurs) et que les entreprises privées se pressent aux portes des universités, il y a de quoi s’inquiéter ! Sans doute espère-t-on, du côté des autorités académiques, que le recours massif aux nouvelles technologies de l’information – et aux réductions de personnels qu’elles permettent – ou la réduction globale du nombre d’étudiants à l’universités - qui est en train de se réaliser par la multiplication des systèmes de sélection aux études – permettront de passer le cap. Mais avec quelles conséquences sur la qualité des études ? Et sur leur démocratisation ?
Du côté des étudiants, outre le fait qu’une année de plus à l’université n’est pas gratuite (ben tiens), on s’inquiète aussi pour les bourses et allocations d’études : pour maintenir le niveau actuel d’aide (insuffisant), il faudrait augmenter les budgets, ce qui n’est à l’heure actuelle anticipé par personne. Il en va de même pour l’octroi du revenu minimum d’intégration (l’ancien minimex) qui se base sur un contrat entre le demandeur et le CPAS.
Vous comprenez donc que nous avons eu peur en découvrant les volontés assez largement partagées, à l’unif et en dehors, pour que le baccalauréat (le diplôme de premier cycle, obtenu au bout de trois ans) débouche sur l’obtention d’un diplôme conçu pour être, en plus de son rôle de transition vers la maîtrise, valorisé sur le marché de l’emploi. Le tout étant présenté sous le concept d’employabilité, néologisme très à la mode, dont on nous expliqua les substantielles différences qui le séparent de la "professionnalisation", réservée, fût-il dit, aux Hautes écoles. On imagine assez bien que le personnel d’un CPAS, quand il s’agira d’octroyer ou non une aide sociale à un étudiant, n’aura probablement pas grand-chose à faire de la subtile différence entre des études "professionnalisantes" et d’autres seulement "employabilisantes".
Le risque, on le perçoit assez vite, est que l’accès au deuxième cycle ne soit plus garanti à tous, que ce soit au moyen de barrières formelles, académiques, sociales ou d’autres plus subtiles. D’autant plus qu’on aurait beau jeu de justifier à rebours ces limitations par la contrainte budgétaire. Et la boucle serait bouclée. Mais nous n’en sommes pas encore à ces scénarios dramatiques.
Les représentants étudiants au Conseil académique se sont donc fermement opposés à ce que la notion d’employabilité figure dans les textes de l’UCL. Après de multiples échanges (souvent vifs), la formulation a finalement été revue, avec le soutien de plusieurs doyens visiblement sensibilisés à la question, dans le sens que nous escomptions. Le mot "employabilité" a été supprimé, ainsi que la phrase qui stipulait que l’étudiant pouvait s’arrêter après le bac. Par contre, le fait que les compétences transversales acquises pendant le premier cycle peuvent être valorisées sur le marché du travail n’a pas disparu. Cherchez l’erreur… Ce n’est donc qu’une demi victoire des étudiants, mais nous sommes assurés que des cours spécifiques destinés à permettre l’insertion à l’emploi ne seront pas introduits dans cette partie du cursus, puisqu’elle ne prépare pas à une profession.
Pour en savoir plus : nous avons récemment consacré un dossier de la Savate 274 du lundi 28 octobre sur le processus de Bologne. Le site Internet de la FEF propose une revue de presse assez fournie sur le sujet www.fef.be/dossiers/bologne/